La physique des rayons cosmiques (RC) a bientôt un siècle. C’est Victor Hess, qui, le premier, a pu montrer l’origine extra-terrestre de ce rayonnement en 1912, en mesurant l’augmentation de l’ionisation de l’atmosphère avec l’altitude au moyen d’un ballon dirigeable gonflé à l’hélium et en découvrant que ce phénomène était présent de nuit comme de jour, éliminant ainsi une origine solaire. L’essor de la physique des RC apparaît ensuite avec l’invention du détecteur Geiger-Müller, qui permet de réaliser des déclenchements rapides d’expériences et de former les premières expériences à base de coïncidences temporelles. Dans les années 1980, un nouveau pas est franchi avec les premières expériences satellites qui permettent de s’affranchir des effets de l’atmosphère. Les RC sont, au même titre que la lumière, une source d’information pour l’astrophysique. Ce document est une simple introduction au domaine. Le lecteur désireux d’approfondir ses connaissances trouvera sans difficultés des informations spécialisées sur notre réseau internet.
La gamme d’énergie couverte par les rayons cosmiques est énorme, puisqu’elle s’étend de l’ordre du keV [1] jusqu’au ZeV (1021 eV). L’évolution du flux expérimental de RC atteignant notre planète en fonction de leur énergie est représenté sur la figure 1. Ce flux est très légèrement anisotrope. Il est actuellement communément admis que les RC d’énergie E £ 1015 eV sont d’origine galactique. Au dessus de ce seuil, l’origine des RC est moins claire et le(s) processus permettant d’accélérer les RC à ses énergies gigantesques est (sont) toujours un sujet de recherche.
figure 1 : Flux total de rayons cosmiques au sommet de l’atmosphère.
A basse énergie, le flux de RC est atténué par le phénomène de la modulation solaire. En effet, notre Soleil émet aussi des rayons cosmiques : c’est le vent solaire. Le vent solaire est essentiellement composé de protons, d’hélium et d’électrons qui sont éjectés depuis la surface du Soleil, sous forme d’un plasma, vers l’extérieure de notre système solaire. Ainsi, le champ magnétique transporté par le vent solaire (d’une intensité de l’ordre du nanoTesla) dévie les RC de basse énergie rentrant dans notre système solaire et les empêche d’atteindre la Terre. Le processus de modulation solaire est dynamique. Notre soleil a un cycle d’activité de 22 ans au cours duquel son champ magnétique s’inverse, puis revient à sa configuration d’origine. Ceci se traduit concrètement par une variation temporelle de l’intensité de l’atténuation des RC de basse énergie. A titre indicatif, la figure 2 reporte la forme du spectre d’oxygène à plus basse énergie, comme le mesurera le satellite ACE[1]. Il s’agit la de la contribution locale de notre Soleil. La forme du flux est identique pour les autres noyaux, seule leur intensité change.
figure 2 : Flux Typique d’oxygène basse énergie, comme l’expérience ACE le mesurera[1]. Les courbes noires sont associés à des flux stables, tandis que les courbes discontinues sont des phénomènes transitoires liés à l’activité solaire.
Au dessus de l’énergie du seuil de la modulation solaire (~20 GeV/nucléon), le flux de cosmique suit une loi de la forme E-g , avec g~2.7 s’étendant sur plusieurs décades. Un phénomène, connu sous le nom du « genou » (Knee sur la figure 1), demeure actuellement inexpliqué : il s’agit d’une rupture de la pente du flux de cosmique à une énergie E ~ 3.10 15 eV. Au delà de cette énergie, la pente augmente et le coefficient g passe de –2.7 à ~-3. Une hypothèse de recherche est qu’à partir de ses énergies, les RC ne sont plus confinés par le champ magnétique galactique (comme c’est le cas à plus basse énergie) et les RC « manquants » ont quittés notre Voie Lactée. Encore à plus haute énergie se trouve la « cheville » (Ankle sur la figure 1) qui est aussi l’objet d’études. La difficulté d’études à ces énergies extrêmes est la très faible statistique de ce genre d’évènements (1 particule par km2 et par siècle !) qui limite nos capacités d’études. Cependant des expériences internationales sur de grandes étendues sont en cours d’implantation pour augmenter la statistique mondiale (expérience AUGER par exemple). A ces énergies extrêmes, en supposant que les champ magnétiques extra-galactiques demeurent faibles, les RC de très haute énergie pourraient pointer vers leur source, comme de la lumière.
Le flux de RC au sommet de l’atmosphère est composé de 98% d’ions et de 2% d’électrons. Les ions sont essentiellement des protons (87%) et des noyaux d’hélium (12%) ; le reste est constitué de l’ensemble des noyaux plus lourds (voir figure 3).
Figure 3 : Abondance relative des éléments chimiques présents dans le rayonnement cosmique au sommet de l’atmosphère (cercles + courbe continue noire) et comparée à celle du système solaire (diamants+courbe en trait). Les protons ne sont pas représentés par convénience. D’après J.A. Simpson (1983) [2].
On peut noter qu’il existe une différence d’abondance relative entre celle du RC et celle de notre système solaire. La composition isotopique diffère également. Au total, ces différences sont une mine d’information sur notre galaxie qui sont l’objet d’études toujours en cours.
A partir des mesures expérimentales des flux de RC, en s’aidant de nos connaissances du milieu interstellaire, de la topologie de notre galaxie, de la physique subatomique et des données expérimentales astrophysiques en général, il est possible de reconstruire la longue vie d’un RC, depuis son éjection dans l’espace jusqu’à son entrée dans un de nos détecteur.
Toutes les étoiles constituant notre galaxie contribuent à la formation du flux du RC galactique. L’abondance des éléments lourds (appelé « métallicité ») dans le flux de RC incite à penser que les SuperNovae (SN) jouent un rôle important comme générateur de RC, puisque les SN éjectent spécifiquement ces noyaux au cours de leurs explosions (explosion qui intervient en fin de cycle du fer.. Des anomalie dans les rapports d’abondance isotopique de certains éléments chimiques (comme par exemple le rapport 22Ne/20Ne) semblent montrer que les étoiles de type Wolf-Rayet jouent un certain rôle dans le flux de RC[Wolf-Rayet]. Objectivement, la compréhension actuelle de la genèse des RC n’est pas complète. C’est aussi un thème de recherche actuel.
Les RC sont émis par les sources à basse énergie (exemple de notre soleil sur la figure 2). Les RC étant observés à haute énergie, ils ont nécessairement subis une accélération avant de parvenir jusqu’à notre planète. Historiquement, le premier processus capable de rendre compte d’une accélération a été proposé par Fermi. Dans ce modèle, un RC vient rencontrer une structure magnétique, portée par un nuage d’hydrogène par exemple, se déplacant en bloc avec une vitesse v dans le milieu interstellaire, celui-ci rebondit dessus, un peu comme une balle de tennis sur une raquette et repart en récupérant une fraction d’énergie : dE/E~(v/c)2 ,avec v/c~10-4. Ce type d’accélération génère naturellement un spectre de RC de la forme E-g.
Mais ce modèle n’est pas suffisant pour expliquer les très hautes énergies observées. Dans les années 1970-1980 se concrétise un nouveau processus plus efficace (car du premier ordre en v/c) basé sur l’accélération par une onde de choc forte, type explosion de SN (v/c~10-2). Cette fois, le modèle permet de rendre compte d’un spectre de la forme E-2.2 jusqu’à des énergies E~1014- 1015 eV. Plus récemment, la découverte des sursauts gamma (« gamma ray burst »), qui sont associés à des phénomènes extrêmement violents et intenses laissent imaginer l’existence d’ondes de choc fortes sur ce type d’objet.
Le milieu interstellaire (MIS) n’est pas vide, on y trouve un certain nombre de type de nuages (exemple : nuage moléculaire, nuage diffu, nuage interstellaire thermalisé, nuage chaud ionisé…) qui vont interagir avec le RC « primaire » (produit directement à la source : ex O, Fe, H…) et produire par l’intermédiaire de réactions nucléaires de fragmentation un grand nombre de noyaux dits « secondaires » . C’est par exemple le cas des noyaux de Li-Be-B qui sont présents en surabondance dans le RC par rapport à notre système solaire, comme on peut le voir sur la figure 3. Certains de ces noyaux sont instables, comme le 10Be, l’26Al, dont les durées de vie en font de très bon chronomètres cosmiques pour étudier la propagation des RC.
Un autre point important du MIS est qu’il contient un petit champ magnétique que l’on peut mesurer indirectement (par exemple rotation de Faraday du champ électrique émis par des pulsars à travers un nuage). Son intensité, faible, comporte une composante B~0.25 nT qui suit grosso modo la structure spirale de notre galaxie et également une composante chaotique du même ordre de grandeur. Son effet sur le RC est très important : d’une part à petite échelle, il fait diffuser les RC, d’autre part à grande échelle, il confine les particules dans notre galaxie. Au total, on peut phénologiquement estimer que les pertes des RC galactiques suit une loi de la forme E-0.5 de sorte qu’au total, le spectre de RC est de la forme mesurée : E-2.7.
.
[1] http://helios.gsfc.nasa.gov/ace/ace_science.html
[2] J.A. Simpson, Ann. Rev. Nucl. Part. Sci., 33, 326.
[1] 1 eV = 1 électron Volt= énergie d’un électron accéléré sur un mètre avec une différence de potentiel de 1 mètre. 1 eV=1.6*10-19 Joule